Légendes des vents de Provence

Ce n’est pas la mer qui est dangereuse, ce sont les vents. Si la Méditerrannée est réputée fantasque, c’est que ses vents sont nombreux, chahuteurs et coléreux. Entre science et poésie, voici un petit tour d’horizon des brises, zéphyrs et autres bourrasques de chez nous.
Lorsque l’on pense à la Provence, la première image qui s’y associe est le Mistral. Il en est le symbole, avec ses rafales qui peuvent se déchaîner chaque jour de l’année, comme un habitant des lieux. Les anciens le connaissaient: il souffle, disaient-ils, 3, 6 ou 9 jours de rang. Un proverbe est même plus précis, annonçant que s’il se lève dans la journée, il dure trois jours, s’il se lève la nuit sa durée est celle d’un pain cuit.

Le mistral est capable de bien pire

Une courte durée, qui ne tient pas compte de son coté fantasque. Le mistral est capable de bien pire, avec un record dans les chroniques de quatorze mois sans discontinuer entre janvier 1769 et février 1770 (Galtier, 1984).
Un tel record le place bien en Maître, d’où son nom. Mais il n’est pas seul à souffler, la Provence est le siège de nombre de vents, tous nommés comme pour mieux les connaître, les dominer. La roso de touti li vènt que boufon en Prouvènço dessinée par le Capitaine Négrel au siècle dernier en dénombre trente deux, selon une répartition saisonnière. Lis aurasso sont les vents de terre, les vents violents venant par le quart nord ouest, lis aureto (brises) venant quart sud ouest au printemps, li marinado (vents marins) venant l’été par le sud est et les vents froids (li rispo) venant quart nord est. Quelques noms de vents ont résisté au modernisme, mais force est de constater qu’ils débordent des directions précisées sur ces roses.

Le mistral est la conséquence d’un flux de Nord Ouest guidée par l’anticyclone des Açores

La connaissance actuelle a perdu en poésie mais gagné en précision. Le mistral est la conséquence d’un flux de Nord Ouest guidée par l’anticyclone des Açores qui va incomplètement traverser les Alpes. L’air chaud réussira à passer cette barrière naturelle alimentant la dépression du Golfe de Gènes, alors que l’air froid s’engouffrera dans la vallée du Rhône, et formera le Mistral, un vent rafaleux, asséché par l’effet de fœhn (Jacq, 2005).
Sous cette forme, il est plein Nord en Camargue, Nord Nord-Ouest à Marseille, et Nord Nord-Est à Sète. A certaines périodes de l’année, un mistral fort sera capable de refroidir les eaux par un mécanisme d’upwelling. En créant un vif contraste entre des terres réchauffées par le soleil, et la mer ainsi refroidie, sa direction s’abâtardit, la brise provoquée par ce gradient de température pouvant jouer des tours en amplifiant ou contrariant les effets annoncés. Le mistral ainsi décrit n’est qu’une des composantes de ce flux de nord-ouest.

Une Tramontane (un vent de nord-ouest) sur le golfe de Lion ou un Libeccio

Les mêmes causes peuvent tout aussi bien générer une Tramontane (un vent de nord-ouest) sur le golfe de Lion ou un Libeccio (vent de sud ouest) au nord ouest de la Corse. Le libeccio se lève parfois sans prévenir, il précède souvent un coup de Mistral et ne s’exprime vraiment dans sa puissance qu’au large de la Corse, sa variante languedocienne, le Labech est un vent peu fort, qui se lève à la nuit et annonce un vent nord ouest et… Beau temps pour la pèche. En marge de ces grands vents qui rythment la vie des Provençaux, le vent d’est, ou le Grec venant de nord ouest sont des vents qui font râler les marseillais. Rares en été, ils amènent la pluie, et une houle d’Est. La houle d’Est est également la conséquence d’un marin fort (vent de sud sud-est), même si ce dernier se révèle agréable, chaud et humide lorsqu’il est faible.

Le mistral en Méditerranée

Plus chaud encore, venant du sud est, il est un vent, fort heureusement rare, qui charrie du sable des déserts d’Afrique. La température monte alors, l’air devient étouffant, chaud et sec, et une poussière rouge envahit tout. Pour finir, les nuages laissent suinter une pluie boueuse, les pluies de sang des ouvrages d’Homère et Virgile. Le phénomène peut ne pas être anodin, les chroniques parlant même d’une pluie de boue qui boucha les gouttières en octobre 1846 (Jaussaud, 1991).
Dans la chaleur de l’été, il est un dernier vent dont il faut parler. Une de ces zéphyrs dont on se plaît à imaginer le souffle. Brise marine, il souffle du Sud-Ouest et porte deux noms. Sur la rose des vents du Capitaine Négrel, il est nommé vent di damo le Vent des Dames. Les marseillais lui prêtent la douceur de la caresse d’une vierge, et l’appellent le vent des demoiselles. il est là, chaque jour après midi, rafraîchissant l’atmosphère pour la plus grande joie des joueurs de boules qui l’attendaient presque pour commencer leur partie.